La haie, rôles et fonctions

L'eau

Lorsque l’eau coule sur le sol, on observe un phénomène appelé érosion. Ce phénomène est particulièrement impressionnant sur les parcelles cultivées et laissées nues, c’est-à-dire sans couverture végétale.

Lors d’une pluie conséquente, le sol se sature en eau et le surplus coule en surface. Cela crée du ruissellement (voir des petits torrents !) emportant avec lui la partie superficielle du sol qui est bien souvent la partie la plus vivante et fertile. Le réseau racinaire d’une haie permet une infiltration en profondeur de l’eau de surface.

En effet, l’eau va suivre les ouvertures dans le sol que créent les racines. A titre d’exemple, une terre nue limoneuse fraîchement travaillée peut saturer avec des orages de 30mm par m2 et par heure alors qu’une haie dense et étoffée est capable d’absorber 300mm/m2/h.

Un exemple évident de la capacité d’infiltration de l’eau d’une haie est sa capacité à adoucir la pente d’un champ, lorsqu’elle est placée à la perpendiculaire de la pente.

Le sol superficiel, pris dans l’eau qui coule le long de la pente, est déposé à l’abord de la haie où l’eau s’infiltre. Cela crée, au fils des années, un dépôt de sédimentation, qui crée une cassure dans la pente du champ et adoucie l’angle de la pente.

Crédit : Breizh bocage Fougères

Cette capacité d’infiltration a un rôle à jouer autant à l’échelle de la parcelle qu’à l’échelle du territoire (ou du « bassin versant », comme on le nomme en hydrologie).

La perte de sol superficiel se retrouve dans les cours d’eau, les sature en sédiments en suspension et peut jusqu’à «boucher» des zones estuaires, à des centaines de kilomètres de la parcelle qui a perdu son sol.

L’enjeu est donc à la fois agronomique vis-à-vis de la perte de sol, et écologique. Il doit être réfléchi par l’agriculteur.trice à l’échelle de la parcelle comme par des acteurs plus globaux à l’échelle du territoire.

A nouveau à cheval entre agronomie et écologie, la haie joue un rôle filtrant très important pour la qualité de l’eau.

Les nitrates, phosphates et autres produits issus de l’activité agricole se retrouvent régulièrement en suspension dans l’eau et finissent dans les cours d’eau, avec un impact qui peut être délétère sur le fragile écosystème des rivières.

La haie permet de créer une barrière supplémentaire entre les produits agricoles et les cours d’eau en absorbant les produits résiduels. Pour une efficacité maximale, nous associons haie dense et bande enherbée au pied de la haie.

Zoom sur la ripisylve

Tout comme la haie, la ripisylve s’organise en différentes strates de végétation. Les essences vont être réparties en fonction de différents facteurs. La luminosité et la proximité avec l’eau vont être déterminantes pour l’implantation de certaines essences. Proche de l’eau, on retrouve les plantes dîtes « hydrophiles », c’est-à-dire qui aiment l’eau. Elles doivent supporter d’avoir les racines immergées, voire même qu’une partie du système aérien soit sous l’eau.

Ces conditions ne sont pas appréciées par toutes les essences (essence=espèce d’arbre). En remontant les berges, on trouvera une succession d’essences ayant une tolérance plus ou moins grande à l’immersion. Le peuplier et le saule se plaisent particulièrement en bord de cours d’eau.

Le réseau racinaire des arbres joue un rôle de « glue » pour retenir le sol aux abords des cours d’eau et ainsi stabilisent le lit de la rivière.

Un exemple extraordinaire de ce phénomène (bien que très loin de l’Occitanie !) est l’exemple de la réintroduction du loup au Yellowstone aux USA.

Mais alors quel est le lien avec la ripisylve ?

La ré-introduction du loup a permis une meilleure régulation des herbivores qui mangeaient tous les jeunes arbres de bord de rivière. La régulation de la population à permis à plus d’arbre de s’installer et donc aux rivières d’être stabilisées dans leur lit.

Crédit : Ian McAllister

En Occitanie, les prévisions météorologiques des prochaines années prévoient des orages de plus en plus violents.

Nous avons donc tout intérêt à préserver ces milieux et (re)-construire une trame de haies pour mieux guider, ralentir et infiltrer l’eau qui tombe parfois de façon très brutale.

La biomasse

Le plus souvent, lorsque l’on utilise le terme « haie biomasse », on se réfère à la capacité qu’à une haie à nous fournir du bois pour l’énergie ou sous forme de bois raméal fragmenté (BRF).

Il existe cependant de nombreuses autres utilisations du bois.

Le bois énergie est récolté principalement sous deux formes : en bûche ou en plaquette. Il existe de nombreuses méthodes de récolte d’une haie (voir le kakémono « entretien de la haie »).

La bûche est réservée aux portions de bois plus large comme le tronc ou les grosses branches que l’on devra dans certains cas refendre pour l’utiliser comme bois de chauffage.

Selon les essences d’arbres, leur capacité à fournir de la chaleur pour un même volume peut être très différente. On parle alors de « pouvoir calorifique ».

Par exemple, le chêne à un pouvoir calorifique beaucoup plus important que celui du peuplier. Le peuplier pousse cependant beaucoup plus vite que le chêne : il faut donc réfléchir à la durée de rotation (c’est-à-dire le temps passé entre deux coupes) lorsque l’on implante une nouvelle haie.

L’utilisation des branches d’arbres comme bois de chauffage est une pratique ancestrale qui a fortement diminué avec l’apparition d’énergies modernes comme le pétrole ou l’électricité.

Elle a cependant laissée des traces fortement présentent sur nos territoires d’Occitanie, notamment à travers les trognes.

La trogne s’inspire de la capacité de nombreux arbres à rejeter du tronc (faire de nouvelles poussent le long du tronc lorsqu’on les coupe). Elle s’est largement répandue au moyen âge pour tirer des fagots, des perches et des bûches tous les 5 à 10 ans des arbres présents sans les abattre.

Il existe différentes formes de trognes :

  • Le têtard présente une grosse tête. On observe un gonflement du tronc à cause des cicatrisations successives au même niveau. Dans de nombreux cas il était taillé en fonction de la hauteur des animaux qui pâturaient dessous, afin qu’ils n’atteignent pas les branches.
  • La ragosse avait pour but de former du bois de charpente avec le fut de l’arbre. Les branches latérales étaient élaguées au ras du tronc et utilisées en fagots.
  • Le candélabre possède plusieurs têtes. Lors de sa formation on coupe les branches charpentières.

La plaquette est issue des portions plus fines des arbres : les branches qui constituent le houppier.

Ces branches sont broyées et le bois se retrouve sous forme de copeaux.

Les copeaux sont ensuite séchés pour atteindre un taux optimal d’humidité afin de les utiliser en chaudières à bois.

Ils peuvent être encore plus transformés sous forme de pellets. Une conduite de haie spécifique à la production de plaquette est le taillis.

Exemples stockage et séchage plaquettes et broyage de branches

Dans une haie menée en taillis, on coupe régulièrement les arbres à leur base créant ainsi une forme buissonnante.

Cette taille, quand elle est bien opérée, peut induire une meilleure production de biomasse de la haie. Les rotations varient en général entre 2 et 3 ans pour des taillis à très courte rotation à presque 10 ans pour des taillis à rotation plus longue.

Passé un certain âge (en fonction des essences, du sol, du climat…), les arbres deviennent trop gros pour être directement broyés et la méthode de récolte doit être réadaptée.

La production de copeaux (le BRF par exemple) peut être orientée à des fins agronomiques comme du paillage ou de l’amendement avec des matières très carbonées. Elle peut également servir de litière chez les animaux d’élevage.

Paillage pour fraises avec des copeaux

Le vent

« Le vent souffle toujours dans le sens des aiguilles d’une montre. »

Thierry Roland

L’impact du vent sur les cultures et les animaux peut créer de graves dégâts. A l’inverse, l’absence de vent peut augmenter les fortes températures, les gelées et la pression parasitaire. Une bonne maîtrise de la haie permet de piloter, dans une certaine mesure, une présence de vent adéquat avec la production agricole.

Photo : Haie brise vent en hiver à Montpellier (mixte d’arbres persistants pour la partie basse et caduques pour la partie haute)

La haie est un obstacle poreux qui permet de réduire la vitesse du vent sans l’arrêter complètement. Pour cela, il faut que l’épaisseur et la densité de la haie soient réfléchies dès la plantation et entretenues après plantation. Un obstacle imperméable crée effectivement une zone très abritée mais engendre une zone de forte perturbation juste après la zone abritée. L’obstacle imperméable ne permet pas de « filtrer » le vent.

Ces schéma illustrent également l’importance du choix des essences dans une haie brise vent, ainsi que leur agencement.

Une haie de cyprès très serrée peut créer un mur imperméable. La haie de cyprès a de nombreux avantages (pousse rapide, assez fine donc peut d’emprise au sol), mais elle peut dans de nombreux cas être remplacée par une haie plus efficace en termes de filtration du vent et plus diverse en termes d’essence pour accueillir plus de biodiversité.

Aux abords des haies, on observe régulièrement des zones où la culture a une pousse plus faible.

Ce phénomène est souvent issu de la compétition entre la haie et la culture vis-à-vis de l’eau, des nutriments ou encore de la lumière.

Des études récentes nous indiquent cependant que la perte occasionnée par la compétition peut-être compensée quand on regarde l’ensemble du champ.

Dans la zone de « protection excellente » comme indiqué sur le schéma, la culture peut développer un meilleur rendement, notamment grâce au fait de ne pas être desséchée par le vent.

La haie brise vent peut donc augmenter le rendement de la culture, tout en diversifiant le paysage (et ainsi créant des niches écologiques) et en produisant de la biomasse.

Schéma d'Agroof issu du projet Arboréol - H=hauteur de la haie

La biodiversité

La haie est un hôte incontournable de biodiversité.

A l’échelle de la parcelle, elle est une réserve d’auxiliaires de cultures… et de ravageurs !

Alors peut-on concevoir une haie pour que son impact soit surtout bénéfique sur les cultures ?

Et bien ce n’est pas si simple. Les interactions entre cultures, ravageurs et auxiliaires sont complexes est très variables d’un champ à l’autre et d’une année à l’autre.

Il y a cependant des concepts généraux d’écologie qui nous permettent d’affirmer qu’un environnement diversifié avec de nombreuses interactions entre cultures et animaux en tout genre permet de mieux réguler la population des ravageurs.

Pour que la haie soit la plus accueillante possible pour la biodiversité, nous essayons de diversifier au maximum les « niches écologiques » et les ressources qu’elle propose.

Les niches font référence aux différents habitats qui vont correspondre aux besoins de différentes espèces.

Par exemple, le fait d’installer des espèces d’arbres qui perdent leurs feuilles en hiver (caduques – tilleul, érable…), des arbres qui les gardent vertes (persistants – chêne vert, viorne tin…) et des arbres qui les gardent mortes (marcescent – chêne pubescent, châtaignier).

Chêne pubescent qui garde ses feuilles en hiver. Crédit : Martine passion photos

Tous ces habitats vont créer des lieux de reproduction, de cachette, de ponte et de repos hivernal pour de nombreux insectes et autres.

On va jouer ainsi sur différents feuillages, différentes écorces, différentes tailles d’arbres et arbustes. Quelques exemples :

  • Un arbre haut peut servir de perchoir à rapace pour prédater sur les campagnols.
  • Un arbre mort peut être un nid pour rapaces nocturnes
  • La litière que l’on retrouve en bas de la haie crée un espace protégé d’hivernage pour de nombreuses larves comme celles des carabes, qui peuvent ensuite se nourrir de graines d’adventices et de pucerons.
Crédits: à gauche ONF, à droite Pixabay

Ensuite, une réflexion sur les ressources que propose la haie s’impose.

En effet, pour être accueillante, il faut qu’elle propose un gîte (les niches écologiques) et le couvert (les ressources). Les ressources principales sont issues de sa floraison, pour le nectar et le pollen, les fruits et les feuilles. C’est en proposant une gamme variée et la plus étalée tout au long de l’année que la haie devient plus attractive.

Le syrphe en est un bon exemple : les larves du syrphe sont de redoutables prédateurs de pucerons, ce qui en fait un auxiliaire des cultures prisé.

Cependant, le syrphe adulte se nourrit de nectar : pour maintenir une population active, il faut donc que l’adulte ait une source de nectar proche du champ.

Merle femelle et lierre, ressource précieuse en hiver. Crédit : colocaterre.
Larve de syrphe dévorant un puceron. Crédit: P. Falatico et M Et J Gouzanet
Syrphe adulte entrain de butiner

On comprend alors que dans un paysage ou il n’y a qu’une monoculture de blé par exemple, on pourrait introduire une grande quantité de larves qui seraient efficaces pour réduire les pucerons du blé.

Mais une fois adulte, les syrphes ne trouveraient pas de sources de nourriture pour que la population de syrphe reste dans le champ et continue à se nourrir des pucerons.

Cet exemple illustre un concept majeur à propos de la biodiversité : de nombreux ravageurs n’ont besoin que de la culture pour faire tout leur cycle de vie (ici le puceron n’a besoin que du blé pour faire tout son cycle) alors que de nombreux auxiliaires prédateurs ont besoin de leur proie et des plantes autres que la culture. Cela est possible seulement dans un environnement diversifié, comme celui que l’on construit avec une haie.
A plus grande échelle, la haie joue le rôle de corridor écologique : elle permet de créer des zones protégées de déplacement pour les animaux, depuis la punaise, jusqu’au chevreuil, en passant par la chauve-souris. De nombreuses espèces craignent les larges espaces ouverts où ils sont susceptibles d’être la proie de prédateurs. On essaie alors avec la haie de créer du lien entre des îlots de nature, par exemple, créer une haie entre un bosquet et une ripisylve qui est séparée par un large champ. La présence de ces trames vertes continues sur l’ensemble des territoires est essentiel par exemple à la migration des passereaux qui trouvent dans les haies du refuge et des provisions pour leur grand périple.

Exemples de corridors. Crédit : Fanny Le Bagousse (EPAGE de la Bourde).
Prenons un peu de hauteur :

La question de la biodiversité comme atout pour la production est complexe et nous sommes incapables de « supprimer » un ravageur avec précision.

Mais avons-nous besoin de « supprimer » les ravageurs ?

Dans certains cas, nous pouvons compter sur la biodiversité pour garder la population de ravageurs sous un seuil tolérable, c’est-à-dire une population qui n’impacte pas trop fortement la production.

Le seuil recherché n’est pas toujours atteignable et demande parfois une intervention de la part de l’agriculteur.trice.

Dans d’autres cas, ce seuil peut être atteignable et demande plutôt un changement de perception et de pratiques de la part des producteurs.trices.

Le monde agricole est sans cesse amené à se questionner, ce qui rend le métier délicat, parfois même ingrat.

Mais dans un contexte de perte globale et massive de biodiversité, nous avons tout intérêt à essayer de travailler avec la nature en la comprenant de mieux en mieux, plutôt que de se passer de tous ses services.

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